MÉTAGÉNÉALOGIE : Présentation

Dans quelques jours Alexandro Jodorowsky et Marianne Costa font paraître « Métagénéalogie », un livre de plus de 600 pages aux éditions Albin Michel. Il est la somme de leurs recherches d’un quart de siècle sur la psychogénéalogie et ses différentes composantes qui permettent de guérir des chaînes familiales plus ou moins inconscientes que notre éducation, ou son absence, ont forgé en nous et que l’histoire de notre fratrie a imprégné en nos âmes. Voici, en bonnes feuilles, quelques pages de présentation, signées par Alexandro Jodorowsky, qui expliquent son projet.

(…) Notre cerveau est probablement l’un des objets les plus complexes de l’univers. Il contient plus de cent mille millions de neurones, cellules dotées d’un noyau qui fonctionne comme un émetteur-récepteur en miniature. Ces cellules s’unissent entre elles, formant des connexions qui transmettent l’information sous forme de courant électrique. Quand nous venons au monde, notre potentiel neuronal est celui de l’être humain accompli du futur, mais il a encore peu de connexions. Le réseau se tisse peu à peu, au contact des membres de notre famille et des connaissances qu’ils nous transmettent. Nous sommes héritiers d’expériences. Pourtant, ces expériences sont limitées et se traduisent en langues « nationales » (ou « maternelles »), produisant des états mentaux stagnants, un monde intérieur aux interconnexions pauvres, une prison culturelle dont nous avons du mal à nous échapper.

L’énergie qui circule entre les neurones, et que les scientifiques décrivent comme « électrique », peut aussi bien être pensée comme une manifestation de la Conscience universelle qui tend à créer dans notre cerveau une structure formée par la totalité des réseaux possibles entre ses cellules : l’esprit grandiose de l’humain futur. Il est également permis de penser que cette mystérieuse énergie tend à unir la totalité des consciences qui peuplent notre univers.

La volonté familiale, sociale et culturelle lutte en revanche pour que l’individu obéisse à la formation de ses ancêtres qui dans la plupart des cas, par accumulation d’idées, de sentiments, de désirs et de besoins hérités, contrarie le projet spirituel et le maintient dans des niveaux de Conscience assez bas. L’arbre généalogique agit comme un piège en imposant à ses descendants ses limites, matérielles et psychologiques (un mélange de peurs, de rancœurs, de frustrations et d’illusions) contre la perfection du projet cosmique. Dès le ventre maternel, le fœtus reçoit des impulsions le conduisant à imiter le modèle légué par les ascendants. Car la famille n’accepte pas la création pure et simple, ex nihilo, venue de rien, sans modèle extérieur.

En d’autres termes, tout individu est le produit de deux forces : la force d’imitation, dirigée par le groupe familial, qui agit depuis le passé, et la force de création, maniée par la Conscience universelle depuis le futur. Quand les parents limitent leurs enfants en les obligeant à se soumettre à des plans préétablis ou à des consignes tels que « Tu seras ceci ou cela », « Tu ressembleras à telle personne », « Tu obéiras à nos idées et à nos croyances et tu les propageras », ils s’inscrivent en faux contre le projet d’évolution future et plongent la famille dans toutes sortes de maladies physiques et mentales.

Dès les premiers instants de son individuation en tant que fœtus, la Conscience subit ce conflit entre créer et imiter. Quand l’enfant présente dès sa naissance peu de traits psychologiques calqués sur ses géniteurs, on peut penser que la Conscience a été capable de vaincre les modèles que les générations précédentes prétendaient lui imposer. Si au contraire l’enfant devient la copie conforme de ses parents ou de ses grands-parents, la Conscience a été vaincue. Les âmes créatrices sont rares, les âmes imitatrices sont légion. Les premières doivent apprendre à communiquer et à semer leurs valeurs, les secondes doivent se libérer de leurs moules et apprendre à créer, c’est-à-dire arriver à être elles-mêmes et non ce que la famille, la société et la culture ont voulu qu’elles soient. Le clan agit comme un organisme. Quand l’un de ses membres change, tout l’ensemble réagit positivement ou négativement. Un arbre de belle allure qui produit des fruits empoisonnés est un arbre mortifère. Un arbre tordu qui produit des fruits sains est un arbre vivant et utile. Lorsqu’un individu développe sa Conscience, il devient un meilleur fruit et offre à son arbre une nouvelle signification. Les souffrances de nos ancêtres (blessures narcissiques, humiliations, hontes ou culpabilités) acquièrent grâce à lui une raison d’être. Lorsque la famille réagit, la société dans laquelle elle s’est développée réagit elle aussi : les arbres font partie d’une forêt.

Chaque arbre généalogique a deux devoirs principaux : accomplir les nécessités biologiques (reproduction, éducation des enfants, etc.) et s’intégrer à un groupe social en respectant ses lois. Si chaque famille refusait le contact avec les autres et cédait à sa tendance séparatiste, la société ne pourrait pas exister. Voilà pourquoi l’arbre généalogique se développe prisonnier d’un réseau d’interdictions et d’obligations sociales et culturelles, parmi lesquelles, par exemple, le tabou de l’inceste qui pousse le clan à se mêler au reste de l’humanité au lieu de se refermer sur lui-même. Cependant ces vetos et ces lois peuvent dans certains cas ne pas correspondre à la nature essentielle de l’être. Toute culture impose divers modes de conduite basés sur ses mythes fondateurs et ses croyances religieuses ou idéologiques. D’une société à l’autre, les institutions familiales peuvent être très différentes. Par exemple, la monogamie n’est pas universelle, il existe des sociétés polygames ou polyandres. Dans certaines cultures, le frère d’un homme mort sans laisser d’héritier est contrait d’épouser sa belle-sœur veuve, dans d’autres encore la jeune sœur d’une épouse défunte doit prendre la place de celle-ci dans le lit du veuf.

Nous naissons dans une culture donnée, à une époque donnée, dans un pays en particulier. Nous ne serions pas les mêmes si nous parlions une autre langue, si nous étions nés dans une autre civilisation ou à une autre époque. . . Ces limitations, dépendantes de la mémoire collective, nous incitent à répéter des schémas et définissent notre être culturel. Mais en même temps, les possibilités du futur qui travaillent pour conduire l’humain à sa mutation transforment la souffrance initiale en énergie consciente, et créent l’Être essentiel.

L’être culturel, formé par ceux qui nous ont éduqués, doit accepter les projections des membres de sa famille désireux d’être imités. On lui enjoint d’exercer telle ou telle profession, de pratiquer telle ou telle religion, d’adhérer à telles idées politiques. Il doit lutter contre des prédictions négatives : « Si tu fais ceci, tu te détruiras », « Si tu te consacres à telle activité, tu finiras ruiné », « Si tu as des relations sexuelles avant de te marier, tu perdras ton honneur ». Le cerveau a tendance à réaliser ces prédictions. L’Inconscient les transforme en injonctions qui se mettent à agir sur nos vies comme des malédictions auxquelles nous ne pouvons nous soustraire.

L’Être essentiel, quant à lui, programmé par le Supraconscient, déploie dans l’esprit des aspirations sublimes, réduites au statut d’illusions par la mémoire du clan ; des utopies, presque toujours vécues avec angoisse ; des désirs de rendre le monde meilleur, presque toujours vécus avec désespoir. L’Être essentiel et l’être culturel s’entremêlent sans cesse, tantôt pour entrer en conflit, tantôt pour s’entraider. Aïeux, grands-parents et parents se fondent en nous pour le meilleur comme pour le pire. Les forces de répétition et les forces de création, dans leur dynamique sans fin, nous tirent vers la répétition incessante du même et, simultanément, nous poussent à devenir ce que nous sommes vraiment. C’est ainsi que toute famille se transforme en une entité double : ombre et lumière. Le trésor et le piège s’unissent dans le descendant. Nous pouvons avoir une vision à la fois positive et négative de nos arrière-grands-parents, grands-parents et parents. Chacun des ascendants devient alors une entité double : lumineuse et obscure. Deux champs d’énergie qui, bien qu’ils s’opposent, sont complémentaires. Dans le présent, l’esprit qui se matérialise coexiste avec la matière qui se spiritualise, le Supraconscient avec l’Inconscient, l’intention de réaliser le futur avec celle de répéter le passé, l’Être essentiel avec l’être socioculturel, le désir de créer avec le désir d’imiter. C’est l’étude de l’arbre sous ce double aspect simultané et complémentaire, trésor et piège, que j’ai appelée Métagénéalogie.

Dans la mesure où l’étude de l’arbre généalogique peut se résumer à une compréhension de ce que signifie essentiellement le couple humain, il m’a paru fondamental que ce livre soit le fruit d’une collaboration entre un homme et une femme. Nous sommes tous issus d’un couple, comme nous le rappelle le Tarot de Marseille qui fait correspondre au Pape une Papesse, à l’Empereur une Impératrice et au Soleil la Lune. Je veux ici rendre hommage au Tarot, ce formidable outil à penser et à développer l’intuition qui m’a permis d’intégrer toutes les connaissances tirées de la lecture et de l’expérience, qu’elles soient spirituelles, psychologiques, philosophiques ou artistiques. Le Tarot est une structure fascinante, un temple intérieur à l’architecture si bien équilibrée qu’il peut servir de tuteur à une foule de développements théoriques.

Pour écrire La Voie du Tarot, j’avais déjà eu la chance de collaborer avec Marianne Costa. Sa compréhension profonde de ma conception de l’arbre généalogique et son expérience de plus de dix ans dans ce domaine faisaient d’elle la collaboratrice idéale pour ce nouvel ouvrage. Sans son concours, ce livre n’aurait jamais pu voir le jour.
Réf : Métagénéalogie – Alexandro Jodorowsky & Marianne Costa – éditions Albin Michel

2 réflexions sur “MÉTAGÉNÉALOGIE : Présentation

  1. Au sujet de vos livres… deux anecdotes que j’ai envie de partager avec vous.
    Il m’est arrivée deux choses étranges pendant la lecture de deux livres d’Alejandro Jodorwsky. Sans doute d’autres choses mais ces deux faits-ci m’ont plus marquée.

    1. A la page 66 de « Le théâtre de la guérison » (Albin Michel1995, 2001) : « Arrabal me confiaune petite comédie de quatre pages: l’histoire d’une princesse amoureuse (…) d’un millier de poussins qui piaillaient de manière étourdissante. » A cet instant, je lève les yeux (je suis assise dans l’herbe, dans un parc publique à Bruxelles, ciel bleu de début septembre 2012) et une fillette dévale la pelouse déguisée en mariée.

    2. Fin août 2012, je suis plongée dans la lecture de Mu, le maître et les magiciennes. J’ai commencé à m’organiser des actes symboliques pour m’aider à changer… « des choses que je voudrais changer chez moi » (des habitudes, liées à des peurs etc.), avant d’avoir connaissance du travail de Monsieur Jodorowsky (je ne connaissais que certaines de ses BD). ça n’a jusque là pas fort fonctionné. L’une de ses entreprises auto-programmée devait s’achever à l’issue d’un séjour à la mer. la lecture de votre ouvrage m’encourageant à aller jusqu’au bout.
    Je ne vais pas rentrer dans les détails du déroulement (ce n’est pas le lieu ici sur ce site) mais le hasard a voulu que durant ce court geste, je perde mes clés dans la mer, sans même m’en rendre compte, alors que je n’avais de l’eau que jusqu’au cuisses.
    Au moment où je tente de les chercher (on ne sais jamais) la pluie s’abat en rafales.
    Je me résous à rentrer, j’étais pieds nus et sans porte-feuille ni gsm (ayant eu la volonté de faire cet acte magique sans m’encombrer)… et cette clé n’était pas la mienne mais celle de l’appartement que je louais à un ami.
    Le concierge n’est pas là. Mais heureusement le petit hall avec les boîte au lettre est ouvert, je trouve un journal pour m’asseoir non directement sur la pierre glacée (je suis trempée de la pluie, en tenue de sport) pour guetter son retour. Le seul endroit où je peux m’asseoir sans bloquer une des portes est face à un miroir, et je me vois assise dans la même position qu’une femme, elle nue, avait sur une affiche présente dans la ville côtière où j’étais. Je me vois moins belle que cette femme, et je me dis que ce qui m’arrive doit avoir un lien avec cette(ces) perception(s)… j’essaie de me voir autrement, de me calmer.
    Un locataire passe, me dit que les concierges sont sûrement partis faire des courses. un couple de locataires passe ensuite, me disent (en néerlandais) que les concierges sont partis en vacances, cette après-midi-même, me passent leur téléphone, le concierge répond qu’il est en effet trop loin sur la route pour faire demi-tour, je lui demande s’il y a un serrurier, il m’indique le plus porche.
    Traversant les rues détrempées pieds nus et en short cycliste, j’arrive chez le serrurier.
    L’histoire s’achève ainsi: après être venu m’ouvrir la porte et m’avoir fait une facture, je suis rentrée, pris une longue douche, habillée en « tenue de ville », j’ai pris le double de la clé posée près de ma cuisinière pour aller faire un autre double en remplacement de celle « avalée par la mer » (en écrivant ceci, je viens de me rendre compte que c’est étrangement dit…) ainsi que payer ma dette. Je remercie bien les serruriers pour leur intervention rapide, il me dise que je suis une cliente sympa et spécifiant que ça arrive aussi que d’autres se plaignent, même dans de telle circonstances, du manque de rapidité, du prix etc. Nous essayons de parler proverbe philosophique mais avec les différences linguistiques, ça ne va pas très loin, nous en blaguons et je m’en vais.
    Je rentre à l’appartement, c’est le jour de mon départ… je pourrai m’arranger pour rester une nuit de plus mais je m’apprête à partir comme prévu, Je n’ai pas du tout envie de rester. Pourtant je fais le ménage à fond (un excès de zèle, non stipulé dans le contrat de location), je manque mon train et suis condamnée à souper sur le pouce et à prendre le dernier train.
    Je crois que c’est fini, m’apprête à lire. Une bande de 6-7 polonais passablement ivres s’installe près des 4 places que j’occupe (une place pour moi, 3 pour mes sacs à dos et valise). Je pense à vos conseils, je réponds calmement à la question par un « oui, c’est bien le train qui va à Bruxelles », en me disant que s’ils me voient plongée dans ma lecture, ils ne vont pas me déranger. Et ils finissent par s’installer spontanément plus loin dans le wagons.
    Le contrôleur passe, je paye mon ticket, le denier train du dernier jour du tarif vacances, me dit-il. (7€ le trajet)
    J’arrive dans la capitale belge. Au lieu de rentrer directement chez moi, j’ai l’occasion de passer voir un ami. Je suis chargée, si bien que ma sacoche m’empêche de voir mes pas et je loupe les deux dernières marches de l’escalier que je dois descendre, je chute et me croque la cheville gauche.
    Le lendemain, c’est le 1e septembre, le jour où je m’imaginais changée.

    J’en ai parlé à un ami dont j’apprécie la spiritualité, ile me répond juste ceci: tu étais avec une histoire de … (le problème de santé auquel je suis confrontée) et te voilà avec une histoire de clé.

    Depuis, les choses sont restée « en suspens », et mes idées un peu floues.
    Je pense que je m’y suis mal prise pour les actes symboliques, laissant malgré moi une place au doute de mes choix, à la volonté de comprendre et contrôler, en les compliquant peut-être aussi. Après le livre du théâtre de la guérison, j’ai compris que c’était l’inconscient qui était concerné par ces communications et qu’ainsi, mes programmes établis « en bonne gestionnaire » bien que créatifs et poétiques, n’étaient pas le bon langage pour atteindre mes mécanisme inconscient.

    Peut-être un jour, vous parlerai-je, monsieur Jodorowsky, de tout cela autrement qu’ici. Peut-être m’avez-vous déjà « parlé » à travers vos livres et les évènements produits durant leur lecture, ou encore vos livres ne m’ont pas parlé, mais invitée à écouter.
    Peut-être est-ce quelqu’un d’autre qui lira ce récit. Si lire ce texte peut apporter intérêt et sourire à qui que ce soit, c’est déjà pas mal. Pour ma part, ça m’a fait du bien de le partager avec vous.

    Merci de m’avoir lue.

    J.

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